Que mesure réellement le classement de Shanghai ?

Je vous propose ici une analyse critique de la pertinence du classement de Shanghai 2018,  basée sur les données publiques (budgets, nb. etudiants…) des 100 établissements les mieux classés. Le document de travail détaillé associé, contient toutes les références et les données discutés dans ce post de blog. 

Aujourd’hui, les classements internationaux d’universités recueillent une attention médiatique ENORME. Ils ont un impact MAJEUR sur l’organisation de l’enseignement supérieur dans le monde (voir les articles de Ellen Hazelkorn sur le sujet) : les gouvernements et universités  mettent au point des tas de stratégies et modifient le paysage de l’enseignement supérieur, dans le but d’améliorer leurs classements. En France par exemple, les fusions/regroupements d’universités qui visent à obtenir une meilleure “visibilité internationale” sont souvent justifiés par l’objectif d’un classement dans le top 100 de Shanghai, considéré comme la reconnaissance d’être une “université de rang mondial”.  Ceci est aussi motivé par les travaux de certains universitaires célèbres et proche du gouvernement, comme P. Aghion, qui utilisent le classement de Shanghai comme référence, pour en tirer des conclusions sur “comment réformer les universités…”

 

AGhion
Un papier très cité et qui a inspiré de nombreuses réformes…

 

 

On pourrait se dire que tout cela est logique et justifié : le classement de Shanghai mesure les performance des universités, et donc, on voudrait évidemment que nos universités soient plus performantes, plus attractives, plus visibles, bref, “de rang mondial”.  On pourrait également se dire que le classement de Shanghai  est utile à tout le monde car il permet de savoir objectivement “quelles sont les meilleures universités”. C’est serait donc une forme de “guide”, pour les parents ou futurs étudiants. Et tout le monde y a accès. Comme cela au moins les choses sont claires !  Evidemment, tout n’est pas si beau et simple.  Premièrement, de nombreuses études ont démontré les écueils METHODOLOGIQUES du classement de Shanghai. L’une des critiques récurrente est celle de l’absence de critère mesurant (si cela est possible) la qualité de l’enseignement (voir par exemple Marginson 2007). Mais, au delà des critiques méthodologiques, ce classement est critiquable sur *le fond*, et c’est cela qui nous intéresse ici. 

Par exemple, on entend beaucoup que l’objectif en France c’est d’avoir “des universités de rang mondial” et des “universités de recherche intensives”.  Marginson (2007) en donne une définition :

Marginson2007

Marginson (qui est critique) appelle ce modèle “le modèle Anglo-Americain”, et surtout il note que ce type d’université est *fantasmé* : aucune université dans le monde ne correspond précisément à ces critères… mais tout le monde veut y ressembler. Néanmoins, ce qui s’en rapproche le plus, ce sont les universités de l’Ivy League (Harvard, Cornell, Yale…), richement dotées, et très chères  en droits d’inscription. Imanol Ordorika montre dans plusieurs articles récents que les universités Anglo-Américaines occupent une position *hégémonique*. L’hégémonie (également appelé “impérialisme culturel” en ref. à Bourdieu) c’est le fait que ce modèle est devenu l’unique référence dans le monde académique. Mais Ordorika va plus loin, il montre que les classements *renforcent* cette hégémonie, cet impérialisme Anglo-Américain : ils gravent dans le dur, à l’échelle mondiale, l’idée que ce modèle est le meilleur, car les universités qui sont le plus proche de ce modèle sont celles au sommet du classement. Par construction, Shanghai ignore totalement les spécificités des systèmes d’enseignement non Anglo-Américains qui sont donc *forcément* mal classés. Si au contraire, par exemple, on prenait en compte le coût des frais d’inscription, on verrait les université d’Europe continentale sortir dans le top 10 ! On peut voir cette hégémonie du modèle Anglo-Americain dans le top 100 de Shanghai avec les données que j’ai récoltés. Dans le graph ci dessous, on voit clairement que les universités Anglaises et US dominent le classement, et que ce sont aussi les plus riches, et les plus chères. 

plot1

 

Amsler & Bolsmann (2012), suggèrent quand à eux que les classement internationaux sont des outils d’exclusion sociale, crées par les élites économiques. En gros, l’idée est que les classements permettent de maintenir la presence des élites économiques dans les universités d’élites. Pour ce faire, les élites en installent en haut du classements les universités les plus riches et les plus excluantes socialement… Et il est difficile de leur donner tort quand on voit ceci dans les données :

a) Dans le classement de Shanghai, les universités les mieux classées sont les plus riches (au sens du budget par étudiant) : 

plot2
Notons que le budget moyen par étudiant d’une université Fr c’est ~12 000 

 

 

b) Dans le classement de Shanghai, les universités les mieux classées sont les plus chères en terme de droits d’inscription :

plo3

 

 

c) Dans le classement de Shanghai, les universités US les mieux classées sont celles où il y a le plus d’enfants issus de familles riches :

plot4

Voilà, en résumé, pour être bien classé dans Shanghai, il faut être une université riche et chère qui accueille des étudiants riches. 

Associé au modèle Anglo-Américain pratiquant des frais d’inscription élevés, il y a forcément l’émergence des prêts étudiants. Or, dans tous les pays où le modèle Anglo-Américain (avec frais d’inscription élevés) a été mis en place (USA, UK, Australie, NZ, Corée du Sud…) les conséquences sont plus qu’inquiétantes : la dette étudiante explose, comme les taux de non remboursement. Pourtant, en France, le rapport Cap22 pour “baisser la dépense publique” remis par un comité d’experts (dont P. Aghion) au gouvernement  préconise comme option possible d’augmenter les frais d’inscriptions à l’université :

cap22
Extrait du rapport Cap22, fuité avant publication

 

Dernière chose. En France, on fusionne les universités pour les rendre plus grosses, et, on l’espère, plus “visibles”. Par exemple, l’université fédérale de Toulouse compte 100 000 étudiants. Notons que la taille moyenne des universités du top 100 de Shanghai c’est ~ 30 000 étudiants. Conclusion, ce n’est pas la taille qui fait le prestige (fallait-il le rappeler ?). La vérité est que la seule motivation de ces fusions est celle d’un meilleur classement. Et on a vu que ce n’est pas vraiment dans l’interêt du plus grand nombre… 

plot5

Voilà, j’espère que ce post vous aura convaincu que le classement de Shanghai qui est censé être un “guide” de la qualité des universités, ne l’est en fait pas vraiment ! 

N’hésitez pas à m’envoyer vos commentaires et critiques par message privé ou par mail : olivier . berne [at] gmail . com

 

5 commentaires sur “Que mesure réellement le classement de Shanghai ?

  1. Cet article ne rend compte que tres partiellement de la question qui ne peux se reduire a la richesse des parents des etudiants. Bien sur cette analyse est biaisee car justement ce sont les universites anglo saxonnes en tete qui dont cheres… Rappelons qd meme que dans le top 20 il y a des universites publiques US moins cheres et des britanniques etc

    Bref association n est pas causalité!

    La vraie question est comment apprécier l efficience scientifique d une université et comment stimuler son attractivite pour les meilleurs enseignants chercheurs et etudiants

    Oui a de meilleurs criteres et d ailleurs d autres classements existent non a supprimer les classements

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